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Le blog de vous-emoi

De gré ou de force (Lettre imaginaire d'un SDF)

2 Avril 2011 , Rédigé par vous-emoi Publié dans #Politique

Lettre écrite pour Alain Reigner, délégué interministériel pour l'hebergement et l'accès au logement.

 

Ils ont commencé. Comme à cette sombre et lointaine époque. Tu te souviens de la Rafle du Vel d’hiv ? Tu sais, moi j’ai été en classe et l’Histoire, ça me connait. ! Je n’ai pas été toujours comme ça.

 

Maintenant, on appelle entre nous ce qu’ils font, la Rafle d’hiv. Ça leur a pris comme ça. Les gars ont rien vu venir. Je ne me souviens plus trop quand ça a commencé. Je sais qu’il faisait très froid. Quoi qu’à y repenser, je me rappelle que le regard des « gens qui passent » avait un peu changé. Ils nous regardaient !! Nous n’étions plus juste une ombre pour eux, on existait !! Oui, mais ce n’était pas vraiment un regard tendre, malgré le froid, ce regard arrivait à me donner des frissons. Les passants avaient l’air de dire : « tu gênes le passage sur le trottoir »,  « comment tu as pu en arriver à ce point en désuétude ? », et surtout « nous gens de bon droits, on va te remettre dans le droit chemin, de gré ou de force !! ».

 

Et puis voilà, les costumes de la brutalité, comme j’aime bien appeler les policiers, sont arrivés. Ils ont embarqué tous les gars qui étaient mes compagnons de fortune : Marcel, Josiane, Samba, Patrick . Moi j’étais allé chercher la liqueur de feu pour m’oublier une fois de plus dans l’ivresse rouge. Tu sais, j’ai tout vu ! Ils sont arrivés avec leurs grosses bottes, leurs chiens, leurs bâtons (les m’attaquent). À coup de pieds et d’aboiements ils ont embarqué tout le monde. Bien sûr il était très tard. Les gars dormaient, la ville était éteinte. Je crois que c’est pour la bonne conscience qu’ils font ça. En tout cas, c’était vite bouclé. Ils ont été réveillé, ils ont crié, ont pleuré, ont frappé, mais les policiers étaient plus nombreux et moins compréhensifs. Pas le temps pour Marcel de prendre son chic matelas trouvé à St Germain des Près. Josiane n’a pas pu prendre tous ses sacs de vêtements. « Ça pue trop » lui a dit l’agent. Mais c’était les derniers souvenirs de sa fille disparue.

 

On aurait dit des sardines tellement ils étaient entassé dans le fourgon.Ça fait 3 semaines que j’ai vu aucun de mes potes. C’est encore plus triste seul dans la rue. Mais je me cache, je dors jamais au même endroit. Je ne veux pas être embarqué de force. Qu’est ce que sont devenus mes compagnons ? D’après ce que j’ai entendu, ils sont parqués dans un camp et ça ne se passe pas bien. Y a du vol, des bagarres. Du coup, je bois un peu plus pour me donner du courage. L’avenir est encore plus flou.

 

Le droit au logement, moi je ne savais pas que c’était une obligation !! On aimait bien nos « quartiers » au canal. On avait tous ensemble nos habitudes, nos petits « trucs » pour contourner le système. C’était bien les soupes populaires, les restos du cœur. Maintenant ça n’existe plus, puisque nous sommes tous compartimentés dans des camps. Je me rappelle aussi que parfois quand ça n’allait pas fort, on appelait le 115 pour être bien au chaud et être soigné. Parfois les gens des camionnettes du samu, s’accroupissaient près de nous. C’était chic leurs conversations. Ils nous regardaient pas de haut. On avait même droit à un café et un diagnostique médical. On râlait beaucoup, mais au fond de nous, on été vraiment content de les voir.

A mon avis, y a des gens qui ne nous aiment pas. On doit gâcher le paysage. Ils nous élaguent comme on enlève les branches d’un arbre ! Surtout quand il fait chaud, et quand il y a plein de touristes dans les rues. Ça gêne le commerce, tu comprends ! Mais nous, c’est pas exprès qu’on est dehors. On ne se rappelle plus trop comment ça a commencé. Enfin, si. Mais c’est douloureux de se souvenir. Alors on fait tout pour oublier.

 

Moi, je ne veux plus me battre. Ma vie est derrière moi, tu sais. D’autres gars s’accrochent encore et veulent quitter la rue. Ce n’est pas facile, mais certains qui sont bien aidés s’en sortent. Je suis content pour eux. Mais ça a demandé du temps. Ça passe par des aides de tous les jours.

 

Je veux qu’ils arrêtent de nous enlever, pour nettoyer les rues de notre présence. On vaut autant que leurs animaux domestiqués. Ils ont droit à un toit, des câlins, des bonnes gamelles de croquettes, des bains, des vêtements. Pourquoi ils ont droit à tous ces traitements de faveur ? Peut être que c’est parce qu’ils ne savent pas parler, qu’ils ne doivent pas travailler et qu’ils sont mignons. En tout cas, moi je suis content. Au moins je ne suis pas tenu en laisse.

 

Leurs rafles c’est un pansement sur une jambe de bois. Comme ils ne savent pas comment nous aider, ils se débarrassent de nous, comme de vulgaires déchets. On vaut plus que ça ! Un peu de chaleur humaine, c’est tout ce qu’on souhaite !

 

Je te laisse ma lettre au pied de tes couronnes de fleurs, qui sont d’ailleurs toujours fleuries. C’est le seul moyen que j’ai trouvé pour te raconter ce qui se passe.

Tu nous manque Coluche. Allez, salut l’artiste !

 

 

Thomas MASSON

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